Peu de tabous sont aussi lourds à porter que ceux de la maternité. Alors, quand une femme avoue regretter d’être devenue mère, bien souvent, c’est l’incompréhension qui lui répond. Heureusement, pour elle, pour toutes les autres et pour les futures mères, progressivement la parole se libère, en même temps que se révèlent les prises de conscience. En lieu et place de la maternité positive habituelle, des livres, des podcasts et des témoignages mettent dorénavant aussi en lumière, le mal d’être mère. Tel un carcan, la maternité est parfois vécue comme un enfermement, entraînant dans son sillage, le regret maternel.
SOMMAIRE
- Qu’est-ce que le regret maternel ? Comment se traduit-il ?
- Regretter d’être mère, n’est pas regretter son enfant
- La maternité, c'est pour toute la vie : le regret maternel aussi ?
Qu’est-ce que le regret maternel ? Comment se traduit-il ?
Le regret maternel se traduit souvent par un sentiment de poids, d’étouffement et/ou d’obligation, qui conduit les jeunes mères à regretter leur vie d’avant la maternité. Depuis que leur enfant est né, elles se sentent enfermées dans un rôle trop lourd et trop contraignant. Si c’était à refaire, elles ne le referaient pas.
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Astrid Hurault de Ligny, auteure du livre « Le regret maternel, quand le rôle de mère est trop lourd à porter » aux éditions Larousse, entame ainsi sa réflexion : « Je ne me suis jamais demandé si je voulais être mère ou non. Réellement, je veux dire. »
- Dans son livre, « Mal de mères : 10 femmes racontent le regret d’être mère », aux éditions JCLattès, la journaliste Stéphanie Thomas évoque les témoignages reçus et le renoncement vécu, celui de la liberté. L’impression de ne plus exister, de n’être plus « que » mère.
- Dans l’ouvrage d’Orna Donath, docteure en sociologie et enseignante : « Le regret d’être mère », aux éditions Odile Jacob, il est question d’un monde de stress, d’oppression et de frustration raconté par 23 mères, dont aucune, si elle en avait le choix, ne retenterait l’expérience de la maternité.
Regretter d’être mère, n’est pas regretter son enfant
Pourtant, les femmes qui regrettent leur maternité aiment leurs enfants et s’en occupent. Psychologues et cliniciens s’accorent pour dire que le regret maternel ne rejaillit pas forcément sur l’amour que leurs mères leur portent.
Elles ne regrettent pas d’être la mère de leur enfant, mais bien d’être devenues des mères. Elles regrettent les bouleversements, le corps qui s’abîme et se fragilise, le couple qui peine à retrouver son équilibre, les privations, la perte d'insouciance et de liberté, ainsi que la dévotion maternelle induite par la société. Ces femmes ne se reconnaissent pas dans le rôle mère tel qu’il leur est imposé.
Le regret maternel est une souffrance intérieure, personnelle et intime, parfois liée à l’enfance et à ses blessures, conscientes ou inconscientes, mais aussi à la société et à sa vision idéalisée de la maternité.
Pour Martine Teillac, psychanalyste et auteure du livre « Vaincre la culpabilité » aux éditions du Toucan, le mythe d’une maternité heureuse et épanouie en forme d’aboutissement, est devenu aussi puissant et encombrant que celui du prince charmant.
Pression sociale et charge mentale : deux facteurs dénoncés du regret maternel
L’épanouissement maternel, le bonheur maternel, l’instinct maternel… sont des exemples parmi tant d’autres du regard résolument positif que pose la société sur la maternité et ses émotions. Ainsi, les mères qui vivent le regret maternel sont nombreuses à confier qu’elles n’avaient jamais réfléchi en conscience à leur souhait d’avoir un enfant avant de le voir naître.
Le couple, les années qui passent et la fameuse question : « Alors, le bébé, c'est pour quand ? ». Et finalement, les essais, la grossesse et la naissance d'un petit bébé qui arrive presque « comme ça ». Parce que donner naissance à un enfant fait partie de la To Do List assignée aux femmes par la société, dans la culture, à travers les films…
Et puis, dès la naissance et même pendant pendant l'accouchement ou dès la fin de la grossesse, les questions et le poids de la charge mentale qui s’abat sur les épaules de la nouvelle mère. « Bien accoucher », réussir à donner le sein, donner naissance à un bébé calme (pourquoi pleure-t-il si souvent ?), se remettre rapidement, retrouver la ligne, accepter les visites, sourire sur les photos, organiser les rendez-vous médicaux... bref, gérer le quotidien avec un nouveau-né.
Si, à la maternité et pendant le congé paternité, les mamans peuvent être épaulées, elles sont nombreuses à dire qu'elles se retrouvent rapidement seules avec leur bébé. Alors, comme le raconte Astrid Hurault de Ligny, les premières semaines du post-partum laissent place à la dépression et à l’incompréhension : « Pourquoi ne suis-je pas heureuse comme les autres mamans ? ».
La maternité épanouie : un autre mythe en partie responsable
Les témoignages autour du regret maternel soulignent un autre point ; la différence entre perception de la maternité et réalité. Parce que le regret maternel est tabou, mais aussi parce que ne pas vouloir d'enfant reste marginal pour une femme, il reste rare qu’une mère avoue qu’elle aurait préféré faire un autre choix.
Comme toutes les autres femmes, ces mamans s’attendaient à vivre le plus beau jour de leur vie, à être comblée. À la place de quoi, elles font face aux difficultés, à la peur, à la fatigue, aux douleurs… et à un manque de compréhension qui ajoute à leur tristesse. Sur leurs épaules, la pression est immense. Finalement, la naissance de leur bébé n’est pas un monochrome de rose, mais plutôt un nuancier de gris sombre qui les renvoie à leur culpabilité.
Les témoignages recueillis dans les livres et publiés sur internet font aussi référence à une sensation d’emprisonnement et d’obligation au bonheur maternel. À ces sentiments sont alors trop fréquemment opposées des phrases comme « il fallait y penser avant de faire un enfant ».
La maternité, c'est pour toute la vie : le regret maternel aussi ?
Toutes les mères du monde le savent, on ne naît pas mère, on le devient. La matrescence explique d'ailleurs très bien cet état transitionnel parfois lui aussi douloureux. Mais, une fois le pas sauté, impossible de revenir en arrière. Aussi, la souffrance du regret maternel doit-elle se poursuivre tout au long de la vie ?
Si le regret maternel est étroitement lié à la dépression post-partum, contrairement à cette dernière, il ne s’agit pas d’une maladie, mais plutôt d’un mal-être que l’on ne soigne pas, mais que l’on soulage progressivement, jusqu’à l’adoucir.
Lire et s’entourer pour alléger le regret
Même si ne pas aimer être enceinte ou vivre le regret maternel restent des sujets délicats à aborder, la parole se libère autour des tabous de la maternité. Pour preuve, les ouvrages cités dans cet article, mais aussi les articles publiés et les épisodes de podcasts, de plus en plus nombreux sur le sujet.
Parce que tout commence par une prise de conscience, si la maternité, la PMI ou votre médecin ne décèle rien, mais que vous sentez le malaise croître en vous, cherchez. Cherchez un indice, une réponse, une possibilité, une explication à votre tristesse après la naissance de votre bébé.
Sur les réseaux sociaux, les hashtags #monpostpartum et #regretmaternel sont d’autres pistes à explorer qui vous permettront de trouver des témoignages, et par ailleurs, de discuter avec d’autres femmes, dans le même cas que vous.
Parler pour ne pas transmettre le regret
Quelle que soit la situation, la parole est libératrice. Aussi, entourez-vous de personnes compréhensives, capables de vous offrir une oreille attentive sans jugement. Il peut s'agit de proches, mais aussi de professionnels expérimentés ou d'inconnus, comme c'est le cas sur les forums par exemple.
En parlant, vous découvrirez peut-être que les renoncements de la maternité peuvent offrir d’autres opportunités ; peut-être bien cachées, mais tout de même présentes.
En parlant, vous contribuez à lever le tabou et permettez à d’autres femmes de se reconnaître dans vos mots et à travers vos sentiments.
Mais surtout, en vous ouvrant, vous laissez échapper les sentiments négatifs, la frustration, une partie du regret… Vous allégez votre fardeau et celui de votre enfant. La parole est un baume au cœur que l’on reconnaît parfois trop tardivement.
S’organiser et s’offrir des moments de vie de qualité
À l’échelle européenne (et plus précisément en France, Grande-Bretagne, Espagne, Italie et en Allemagne), une étude menée par YouGov en 2022, montre que 10 à 15 % environ des couples interrogés regrettent d’avoir eu un enfant. Toutefois, les chiffres montrent également que le regret se fait moins présent avec le temps.
Existe-t-il un parallèle entre la privation d’expériences exprimée par les femmes qui ressentent le regret maternel ? Sans doute.
La maternité, comme la vie, est en partie faite de renoncements. Cependant, organiser le quotidien peut aider à profiter de chaque espace-temps avec le moins de frustration possible. Consultez votre agenda et celui de votre conjoint ou des personnes qui vous accompagnent. Délimitez des temps en famille, des temps en tête-à-tête avec votre enfant, avec la personne qui partage votre vie et des temps rien que pour vous, ou un autre adulte prendra le relais.
Bien sûr, cette organisation va bouger et évoluer. Mais, le simple fait du temps pour soi et de la charge mentale partagée, pourra contribuer à alléger le poids du regret maternel, et, progressivement, apprendre à aimer cette nouvelle vie et cette nouvelle version de soi.